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Le planning antifragile

La thèse du Cygne Noir de Nassim Taleb conduit à conclure que chercher à prévoir le futur est profondément fragile. Cela nous raidit sur des suppositions fausses et donc la prévision nous fragilise. Taleb suggère de passer son énergie à prévoir quoi faire en cas de problème, ce qu’il appelle l’optionnalité.

Paradoxalement pour pouvoir rester souple dans les projets j’ai expérimenté que l’absence de planning était contre-productive. Pas de planning c’est pas de vision de l’avenir. Donc une difficulté à se projeter et donc une difficulté à prévoir comment réagir. Pour rester antifragile je recommande donc de dresser au moins un macro-planning des séquences prévisibles et de le tenir à jour.

L’heuristique est la suivante : pour se projeter dans l’avenir, faire un planning que nous ne chercherons pas à respecter.

Le plus délicat consistera à rester souple sur ce planning. Son but est de nous aider à prévoir quoi faire, ce n’est pas une suite d’échéances à respecter sauf bien évidemment quand il existe des échéances structurantes. C’est un outil pour se projeter dans l’avenir, évaluer les options qui s’offrent à nous et lancer les préparations nécessaires.

Une des dérives classiques consiste à perdre beaucoup d’énergie dans le respect du planning. Ici le planning ne sert qu’à travailler l’optionnalité. Par exemple dresser un planning des réunions à l’avance permet de vérifier qu’il ne manque pas une réunion de coordination ou alors qu’il faut parler aux speaker dès aujourd’hui de la prochaine réunion dans laquelle ils doivent intervenir car nous ne pourrons les réunir une nouvelle fois dans l’intervalle. Autre exemple vécu, penser à réserver la salle de réunion car les grandes salles étant peu nombreuses, elles sont réservées très longtemps à l’avance. Dresser le planning permet donc de penser à des problèmes qu’on oublierait facilement.

l’antifragilité vient du fait que en faisant un planning on se projette dans l’avenir et donc on peut mieux envisager les options qui s’offrent à nous.

How to

  1. Positionner sur un planning toutes les échéances du projet
  2. Se demander pour chaque échéance, qui a besoin de préparer quoi
  3. Se demander pour chaque échéance comment garder le maximum d’options ouvertes pour répondre à l’incertitude

On trouve sur google sheets des exemples de planning assez faciles à remplir, à partager et conçus pour pouvoir collaborer dessus à plusieurs.

Pré-requis :

Pour mieux se persuader de l’inanité des prévisions lire l’article suivant qui reprend beaucoup d’erreurs de prévisions : https://signauxfaibles.co/2019/03/23/pourquoi-les-predictions-sont-souvent-fausses-et-quelles-lecons-en-tirer/

Ou directement sur le Cygne Noir par Taleb lui-même : https://www.youtube.com/watch?v=BDbuJtAiABA

Ou encore la version mathématiques du Cygne Noir, que les anglo-saxons nomment Fat Tail  : https://www.academia.edu/37221402/THE_STATISTICAL_CONSEQUENCES_OF_FAT_TAILS_TECHNICAL_INCERTO_COLLECTION_?auto=download

#skininthegame

Ce concept vient de loin. Les prémisses viennent de l’outil RPBDC de Vincent Lehnardt qui en coaching permet de respecter la responsabilité du client en distinguant ce dont il a Besoin (le B) de ce qu’il Demande (le D). Et Vincent de nous apprendre péniblement à rester sur le D (ce n’est pas simple quand on pense comprendre le B, car bien intentionné comme nous sommes, comme c’est de cela dont il a besoin, c’est cela qu’il faut lui proposer !). Au fil du temps j’ai appris à proposer un C (contrat) qui répond à D mais en intégrant B. C’était malin, mais parfois je trichais un peu.

L’heuristique est la suivante : celui qui a #skininthegame, qui paye les conséquences des décisions a un « génie » de la décision. Il faut lui laisser le dernier mot car il aura des raisons pas nécessairement conscientes de suivre son instinct, d’avoir raison.

Cette idée a trouvé sa définition juste, avec le dernier livre de Nassim Taleb. Pour Nassim le #skininthegame est avant tout une sélection naturelle, si je suis #skininthegame je vais apprendre à mes dépens et l’évolution va éliminer les mauvais. « people don’t get the point it’s a filter not deterrent ».  Même si il professe le contraire, je le soupçonne de savoir que c’est aussi dissuasif, que cela change nos comportements. Ce qui me fait dire cela, c’est que pour lui tout l’apprentissage est basé sur le fait de payer les conséquences de ses décisions. Et je le suis sur ce point. C’est bien mon instinct qui apprend alors. Lui en tire des conséquences sur la régulation bancaire car pour lui une grande partie de la crise de 2008 vient de ce que les banquiers qui prennent les risques ne sont pas #skininthegame car ils ne payent pas les conséquences de leurs actes (ils ne rendent pas leurs bonus lors des faillites).

Personnellement je vais plus loin car je postule qu’il y a un génie de celui qui est responsable, qui est #skininthegame. Je l’ai expérimenté de nombreuses fois, avec des dirigeants qui prenaient des décisions contre mes recommandations et qui avaient bien raison pour des raisons….qu’ils n’arrivaient pas à expliquer. Je l’ai aussi expérimenté sur nos projets en équipe La Boétie Partners où celui qui est leader  responsable et au contact du client, est #skininthegame et a une sorte de grâce pour « sentir » jusqu’où nous pouvons aller, ce qu’il s’agit de faire, quels sont les besoins. Comme chez nous ce rôle est tournant, j’ai pu expérimenter que c’était bien le rôle qui donnait ce génie, et pas uniquement les qualités intrinsèques de la personne.

Ma théorie c’est que le centre instinctif (voir les 3 centres), le centre de l’action est connecté directement à l’inconscient (sur ce point je ne suis pas sûr que Frédéric Haumonté soit d’accord). Ce centre est activé par le #skininthegame et donc la personne dans cette situation ne voit pas la situation de la même façon, elle sent des choses que le pur mental, quand je suis à l’extérieur ne peut sentir. Je ne sais pas si cette théorie est juste mais ce que je sais c’est que l’heuristique fonctionne : ne jamais se battre contre celui qui a #skininthegame, se mettre à son service. C’est cela qui marche.

Cette idée, qui n’était qu’une vague intuition au départ, est à l’origine de la création de La Boétie Partners : créer une équipe de consultants #skininthegame, c’est-à-dire indépendants, qui payent les conséquences de leurs actes. Quand on y réfléchit cela peut paraître contre-intuitif : pour qu’un consultant accompagne bien la pente d’un client, qu’il le laisse libre, il faut qu’il ait sa peau en jeu, qu’il paye les conséquences de ses actes. On pourrait penser l’inverse : salarié et protégé, il serait moins exposé, plus libre de laisser le client avancer à son rythme. Je constate tous les jours l’inverse. Et cela suffit à me convaincre d’en faire une heuristique. Même ma théorie ci-dessus est superflue, en fait.

Antifragile – Nassim Nicholas Taleb

C’est sans doute le livre pivot de Nassim Taleb, plus connu pour son ouvrage le Cygne Noir. Dans le Cygne Noir il explique comment fonctionnent les événements très rares que nous croyons impossible (comme le fait qu’existent des cygnes noirs) et auquel il faut prêter attention lorsqu’ils ont des conséquences très graves. Il est devenu célèbre car il avait prédit la crise des Subprimes (enfin au moins la faillite de Fanny Mae), validant ainsi sa théorie.

Dans Antifragile il poursuit sa réflexion sur le hasard en distinguant ce qui est fragile, que le hasard et donc le temps casse, ce qui est robuste et que le temps n’atteint pas et ce qui est renforcé par le hasard. Par exemple une tasse en porcelaine est fragile, une pierre est robuste et un bon bordeaux antifragile car il se bonifie avec le temps (les bonnes années).

Ce concept est central dans ma pratique où j’essaye de profiter de tous les problèmes, hasards, événements surprenants d’un projet de transformation pour que les dirigeants puissent mieux comprendre comment faire changer leur organisation. L’expérience m’a enseigné (à mes dépends) que chaque organisation est unique ce qui implique que la manière de la transformer l’est aussi. Cette manière se révèle rarement accessible a priori et il faut la trouver en cherchant à partir de toutes les petits problèmes que nous rencontrons. Donc plus nous rencontrons de (petits) problèmes, plus le projet va trouver la manière adéquate de « parler » à l’organisation. Le projet profitera ainsi du hasard, des événements et des problèmes pour se renforcer, il deviendra donc antifragile.

Cette idée centrale constitue la source de toutes les pratiques que j’ai développées que ce soit le baromètre comme tous les diagnostics intégratifs ou l’écoute Hi-Fi. Je dois admettre que c’est grâce à Nassim Taleb que j’ai pu nommer ma pratique car avant de lire son livre je le faisais sans savoir l’expliquer (mais ça marchait). J’ai été très rassuré lorsque j’ai lu qu’il affirmait que ce fait de faire quelque chose sans comprendre est exactement ce qui conduit à l’antifragilité, donc j’ai décider d’appeler « Transformation antifragile » le module de formation/transmission que je propose.

Je vous recommande de lire l’ouvrage, en plus le style est très drôle !

Pour en savoir plus vous pouvez consulter sa page web ou mieux, regarder sa conversation avec le prix Nobel Daniel Kahneman sur la définition de l’antifragilité. La position de Dany est passionnante : il pense les gens ne veulent généralement pas devenir antifragile, ils veulent diminuer la volatilité. C’est exactement ce qui arrive en général sur les projets de transformation. La vidéo est en anglais.

Concepts utilisés

Les concepts issus de cet ouvrage repris dans ce site :

  • Antifragile : le dernier élément de la triade : fragile – robuste – antifragile. Ce qui est fragile se casse avec le temps (et donc le hasard), ce qui est robuste résiste, ce qui est antifragile se renforce.
  • Heuristique : une heuristique est une hypothèse pratique que l’on formule sous forme de règle et qui est validé par la pratique sans que l’on sache nécessairement expliquer pourquoi. Pour Taleb plus les heuristiques sont anciennes plus elles sont « sûres ».
  • #skininthegame : seules les personnes qui payent les conséquences de leurs décisions doivent en prendre. C’est sa position que j’adapte en disant que ceux qui sont  #skininthegame sont ceux qui « savent », c’est-à-dire qu’ils choisissent les conseils qu’on leur donne et que si ils refusent le conseil donné, c’est eux qui ont raison, même si ils sont incapables de vous expliquer pourquoi.
  • Conséquences : pour étudier une décision risquée (et donc difficile) il vaut mieux se fier à l’analyse des conséquences (négatives et positives) qu’aux probabilités.

Formation

J’ai suivi le Real World Risk Institute mini-certificate (5 jours) en mai 2018.