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Face Nord

Dans un séminaire émotionnellement compliqué qui va déboucher sur une régulation attendue, comme en montagne une fois qu’on a déterminé avec une équipe l’objectif (le sommet) il faut se poser la question de la voie pour y arriver. Dans la plupart des cas il existe une voie difficile qui consiste à prendre les problèmes de front, tout de suite, sans précaution relationnelle. C’est la face Nord. Par exemple celle qui consiste à ce que le patron dise d’emblée «  sa façon de penser » à son équipe dont il n’est pas satisfait. C’est courageux de passer par la face Nord, mais comme en montagne on n’est pas sûr d’arriver au sommet pour autant.

Si en début de séminaire on explicite ce petit modèle en leur proposant de prendre la face Sud, l’on va grandement faciliter la progression.

L’heuristique est la suivante : pour qu’un groupe puisse affronter la réalité en face il faut vérifier avec lui par quelle face on le fait monter : la face Nord pique, est glissante et parfois bouchée.la face sud arrive plus lentement au même endroit.

L’idée de départ m’a été donnée par Pierre Menant éminent consultant et brillant sociologue des organisations (même s’il s’en défend). Nous l’avons assez reprise à notre compte avec mes associés lors des designs d’atelier car l’image fonctionne très bien. Puis je me suis rendu compte que pour suivre la progression d’un séminaire de régulation, c’était très efficace.

Pour les sujets qui demandent du courage, un peu par bravade mais aussi pour se donner du courage, nous avons le réflexe de vouloir aborder le problème de front, par la face Nord. En faisant cela on risque fort, si on va trop vite, de braquer les participants et donc de compromettre l’ouverture et la discussion.

Sur le dessin ci-dessous on voit que les personnes ont signé au 2e jour du séminaire là où elles pensaient que nous en étions par rapport au sommet.

Antifragilité : lorsqu’il y a plusieurs voies pour aborder un sujet, se demander avec le groupe si l’on ne passe par la face Nord permet que si on glisse, dérape ou l’on se trompe l’on puisse ensemble prendre un autre chemin sans trop de dommage. On a désamorcé le problème que c’est de se faire un peu mal. Le problème est utilisé comme un indicateur de progression ce qui permet de le passer plus facilement.

Cette heuristique a plusieurs avantages :

  •  Elle permet de co-piloter avec le groupe la difficulté des discussions, ce qui est sécurisant,
  •  Elle dégonfle le problème que c’est d’avoir des problèmes en en faisant un objet de travail,
  •  Elle permet d’évaluer régulièrement lors du séminaire la progression par une question du type « à votre avis on est où sur cette image ? »  ce qui aide à avoir du courage
  •  Elle est déculpabilisante, tout le monde sait que les courses en montagne sont difficiles, comme les régulations. Sauf qu’une régulation on imagine qu’on est pas assez « courageux pour parler », qu’on devrait être mieux ou je ne sais quoi. Alors qu’une régulation c’est compliqué, dur et pénible (voir les règles de régulation antifragile)

Les zones d’intervention

Ce concept clef vient de Vincent Lehnardt et est utilisé initialement en coaching. Il est très utile dans un projet de transfo car il donne une grille pour analyser « où est le problème » ? Lorsqu’un acteur parle avec émotion d’un problème qu’il rencontre, pour comprendre l’information qui se cache sous l’émotion, il peut être très utile d’utiliser cette grille. C’est donc une grille de base de l’antifragilité.

Elle a un fort pouvoir déconfusionnant au sens ou elle permet de distinguer ce qui relève des faits, des acteurs et ce qui concerne leur « rapport à ». Le « rapport à » est un concept de psychosociologie qui désigne de façon un peu précieuse la manière dont une personne voit les choses. Cette manière de voir les choses, ce « rapport à », conditionne les émotions qu’ils vont ressentir face à une même situation. Comme c’est une relation d’équivalence, si l’on observe une émotion face à une situation cela éclaire sur le « rapport à ».

Sur ce schéma par exemple le rapport du champion au problème est la zone 8 alors que le problème se situe dans la zone 6.

Donc pour utiliser la grille, lorsque j’écoute un client parler d’un problème, cela m’aide à identifier où se situe l’énergie. Pour prendre un exemple que l’on retrouve dans beaucoup de projets de transfo, lorsqu’un responsable se plaint du fait que « ils devraient se comporter de manière plus responsable et prendre en compte ces contraintes », il s’agit d’écouter attentivement la personne pour savoir si ce qu’elle déplore  c’est :

  • un des comportements justement à faire évoluer, auquel cas on peut l’aider à passer sa frustration que le projet n’aille pas assez vite,
  • sa préférence de comportement, auquel cas le consultant peut soit se taire, soit l’aider à éclairer ou questionner sa préférence,
  • un espoir illusoire qu’il existe un monde où un leader n’aurait pas à prendre en charge ses adjoints, auquel cas vous pouvez soit compatir, soit dénoncer (mais je déconseille car sans contrat de coaching individuel c’est vraiment face Nord), soit vous taire,
  • où réellement les personnes dont elles parlent doivent vraiment évoluer et donc être formées par exemple. Auquel cas il faut chercher à cerner la conscience qu’elles ont du problème, comment il se manifeste concrètement….

Deux manières de voir les lignes de conduite

Deux grandes manières de les utiliser

  1. Dans la vie courante d’une équipe : « Rester dans le triangle »

Dans la vie courante d’une équipe il existe des conversations « normales » qui parfois deviennent plus délicates. Lorsque cela arrive l’équipe peut viser de « rester dans le triangle » dont chaque côté serait constitué par une ligne de conduite.

Ainsi « rester dans le triangle » lui permettra de vérifier qu’elle conserve l’équilibre entre les trois lignes de conduite.

Notez sur le dessin la disposition du triangle, à l’image d’une boussole, « rester dans le triangle » permet à l’équipe de garder le cap.

Dans l’esprit des lignes de conduite qui ne sont pas des règles du jeu, cela facilite les aides mutuelles : il est plus facile d’inciter à « rester dans le triangle » que de tacler les « hors jeu ».

  1. Dans une situation de transformation : « Cheminer par la face sud »

Lors de la transformation d’une organisation il est vital pour les dirigeants de pouvoir comprendre « les bonnes raisons » que ceux qui font obstacles au changement ont de faire ce qu’ils font. Dans cette situation cette ligne devient l’objectif à atteindre, le sommet visé pour prendre une image d’ascension en montagne.

Cette ascension comporte deux faces : la Nord, gelée, abrupte, la plus rapide et la plus dangereuse et la face Sud, plus facile, plus lente. En fonction des équipes la face Nord pourra soit consister à s’exprimer (si le patron est très charismatique par exemple) ou à écouter (si tous ses membres sont très seasoned). Dans les deux cas atteindre le sommet demandera des allers/retour entre les faces Nord et Sud.

Une équipe menée par un leader charismatique écoutera plus facilement, puis devra développer son assertivité, pour revenir à l’écoute et revenir à une assertivité plus grande, progressant ainsi vers la compréhension des « bonnes raisons ».

Notez sur le dessin qu’il est possible que chacun évalue là où il en est du sommet, ce qui comme en montagne, redonne de la perspective et donc du courage !