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Tabou n°4 : Se transformer demande de changer de mode de collaboration

Comme toute culture celle de la transformation « fait silence » sur certains tabous « par crainte ou par pudeur ». Dans cette série nous nous proposons d’en découvrir sept présents dans beaucoup de projets. Pourquoi ? Parce que « rompre le silence » permet d’aborder les projets d’une manière plus efficace. Tout simplement.

La manifestation

Apparemment, une transformation soulève beaucoup de contradictions.

Dans certaines organisations où la digitalisation bouscule les silos il n’est pas rare d’entendre des discours du type « nous devons collaborer plus ouvertement » alors même que toutes les réunions ont des agendas tellement bourrés que l’on n’en arrive jamais au bout. Avec de tels agenda, impossible de prendre le temps de s’écouter, d’explorer un sujet complexe. Le temps presse, l’ordre du jour prime. Malheureusement apprendre de nouvelles manières de collaborer demande du temps.

Autre contradiction typique l’injonction « devenons agile ». Une organisation souhaite développer son agilité alors que toute décision d’investissement doit être validée par des chefs dont les agendas sont pleins sur les 8 prochains mois. Comme laisser de la place à l’imprévu, solliciter un avis sur une question pressante, réagir rapidement ?

Ces contradictions apparentes révèlent la culture de collaboration, de dialogue de l’organisation. Or cette culture, ces habitudes de dialogue de l’organisation vont devoir évoluer. Et comme elles touchent tout le monde, tout le monde sera concerné !

Le tabou

Dans une transformation la manière dont les personnes collaborent va évoluer.

Un exemple

Fin 2018, un gestionnaire d’actif fit face au retournement de certains marchés qui remirent en cause sa performance. Très soucieux de développer la collaboration, son directeur général utilisa les réunions de CODIR hebdomadaires de deux heures pour élaborer, ensemble, des plans d’actions. Ces plans d’actions tardèrent à arriver, le patron s’exaspérera de l’irresponsabilité de son CODIR. De leurs côtés, les membres du CODIR constataient une très nette détérioration du climat de collaboration sans pouvoir en identifier les causes.

Prenant un peu de recul, l’équipe se rendit compte qu’elle cherchait à explorer de nouvelles solutions dans un mode de collaboration contraint, adapté à la gestion opérationnelle courante. Ils décidèrent donc d’adapter leurs modalités de collaboration à leurs nouveaux objectifs en se ménageant tous les 2/3 mois des réunions longues permettant d’explorer ensemble les sujets stratégiques. Par ailleurs le suivi des plans d’actions correctifs fut concentré entre les mains de deux dirigeants qui s’économisèrent ainsi de longues revues stériles au reste de l’équipe.

Les bénéfices de regarder le tabou en face

Il existe beaucoup de raisons conscientes et inconscientes pour lesquelles nous gardons silence sur ce changement profond de manière de fonctionner. Les explorer nous perdrait sans nécessairement nous aider à en sortir. Ce n’est pas l’objectif. Quel bénéfice pouvons-nous tirer à regarder ce tabou en face ? Comment devenir antifragile sur ce point

Regarder ce tabou en face permet de s’interroger sur les conditions pratiques à faire évoluer pour faciliter la transformation. En d’autre termes cela permet d’analyser tous les problèmes de fonctionnement comme des indications de ce que nous avons à faire évoluer dans nos modes de fonctionnement plutôt que comme des problèmes à faire disparaître. Déculpabilisante, cette analyse débouchera, comme dans l’exemple précédent, sur des changements très concrets et pratiques, et donc simples à mettre en place. Ces changements concerneront généralement trois dimensions : la nature des réunions, leur durée/fréquence et les modalités pratiques de discussion et de décision.

Pour aller plus loin

Comment analyser les modalités de collaboration d’une équipe ou d’une organisation d’une manière simple et pratique ? Pour l’expérimenter vous pouvez participer au prochain atelier « la transformation antifragile »Dates et inscription

Crédit photo : Tom Pumford on Unsplash

Les 6 types de structure d’organisation selon Mintzberg

Dans un projet de transfo beaucoup de questions se posent sur l’organisation. Notre structure d’organisation est-elle la bonne ? Notre culture est-elle adaptée ?La tentation vient vite de vouloir tout changer, de vouloir conformer la culture à nos préférence, de ne voir que le revers de la médaille en oubliant sa face, le côté positif de ce qui nous agace dans une culture d’entreprise.

Pour aider les équipes à réfléchir sur ces sujets j’aime utiliser le canevas de Mintzberg sur les 6 types d’organisations car il repose sur une idée clef et une vision saine.

L’idée clef pour Mintzberg c’est qu’une structure d’organisation est conditionnée (structure n’est pas organisation, voir l’article qui rendit célèbre Tom Peters) par la représentation, la culture. Pour lui ce qui dans la culture conditionne la structure c’est le mode de coordination qui est utilisé par l’organisation. Chaque type de structure correspond à un mode de coordination, donc a une culture. Ainsi :

  1. Si une organisation se coordonne pas la « supervision » c’est-à-dire un mode de management où le chef décide et coordonne, cela donne une structure relativement plate de type entrepreneur (charismatique pour Weber). Exemple type, la PME locale.
  2. Si c’est la standardisation du travail qui permet la coordination, alors la structure sera pyramidale, hiérarchique mais sans excès, exemple type l’armée de terre française.
  3. Si c’est la standardisation des qualifications, la structure sera plus plate, en espèce de râteau, typiquement une administration française.
  4. Si c’est par la standardisation des résultats que la coordination s’effectue on retrouvera la structure divisionnaire qui fit le succès de McKinsey dans les années 70, ou chaque division d’un groupe est dirigée par un chef tout puissant, qui fait ce qu’il veut du moment qu’il rapporte les résultats. Typiquement un groupe comme Elior a longtemps été organisé ainsi.
  5. La structure matricielle demande elle un ajustement mutuel pour se coordonner, une régulation entre des objectifs contradictoires. La plupart des grandes organisations sont aujourd’hui matricielles spécialement dans les produits de grandes consommations.
  6. La structure « missionnaire » assez floue, voire totalement floue, se coordonne par les valeurs C’est le propre des structures mouvantes qui se mobilisent pour des causes, comme les manifestants altermondialistes par exemples. Ils n’ont pas de chefs à proprement parler, ni de structure.

 

C’est souvent parce qu’une nouvelle structure est plaquée sans qu’on prenne garde à changer son mode de coordination que des problèmes, des incompréhensions naissent dans les structures.

Je trouve sa pensée saine car plutôt que de préférer une structure plutôt qu’une autre, une culture plutôt qu’une autre, il tente de mettre à plat les côtés positifs et les revers de chaque structure et qu’il fait le lien, génial à mon avis, entre structure et type de coordination. Cet écart explique quasiment touts les problèmes que j’ai pu rencontrer.

Par exemple le cas particulier des structures matricielles a fait couleur beaucoup d’encre, notamment de persones qui n’aiment pas le conflit car les structures matricielles créent par nature du conflit, de l’ajustement dit Mintzberg, de la coopération dit Morieux. Sur ce sujet voir la superbe interview de Yves Morieux dans les echos : https://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/0600928296818-les-entreprises-adoptent-des-organisations-de-moins-en-moins-efficaces-2254570.php#xtor=CS1-33

 

Pré-requis :

Pour plus d’information, lire le livre de Mintzberg présenté ici.

Michael Hammer

  • Michael Hammer (voir https://en.wikipedia.org/wiki/Michael_Martin_Hammer) est l’inventeur du concept de re-engineering, très en vogue dans les années 90.
  • Le concept de business process reengineering a connu beaucoup de succès. Comme toutes les modes managériales il a connu aussi ses excès, mais s’il a connu tant de succès c’est qu’il repose sur une idée très simple qui consiste à analyser de manière objective les processus réels d’une organisation. Et par nature de l’action collective cette analyse révèle toujours des surprises.
  • Le concept est si simple qu’il tenait initialement en un article de la HBR
    (https://hbr.org/1990/07/reengineering-work-dont-automate-obliterate) et j’avoue avoir eu un peu de mal avec le livre. Pour certains Michael Hammer est d’ailleurs l’illustration de l’industrie du business book. Il se serait fait aider par une agence pour l’écriture de son livre, ce qui explique qu’il apporte peu de fond supplémentaire par rapport à l’article de départ..
  • Ce qui est remarquable c’est que ce concept est devenu un basique du management, prolongé jusqu’à nos jours par le Lean, le 6 sigma et toutes les méthodes d’analyses de processus. Fondamentalement rien n’a changé depuis Hammer : décrire la réalité des enchaînements des tâches d’une organisation à partir de la vue du client. C’est le changement de perspective qui est puissant

 

Définition d’un processus (Michaël Hammer)

  • C’est la traduction en conséquences pratiques du fait de faire passer le client avant tout autre considération,
  • C’est une séquence organisée d’actions connexes qui, ensemble, créent un résultat ayant de la valeur pour le client.
  • Le processus n’est pas un événement mais une suite d’événements dépendants
    • Une suite ordonnées d’actions
    • Des interfaces (information, compréhension)
    • Des acteurs qui réalisent ces actions

Principe directeur : l’organisation pratique du travail

  • Fournir un service passe par une série de tâches indispensables et donc par la coordination d’une série de personnes,
  • Dans quel ordre exécuter ces tâches, de quelles manières et comment coordonner l’action humaine sont les questions traitées par les processus,
  • Les processus préexistent à leur description : ils existent dans la réalité, et leur description n’est qu’une modélisation de cette réalité.

Analyse stratégique d’une population – Chasse aux bonnes raisons

L’analyse stratégique d’une population pourrait aussi s’appeler l’analyse stratégique, tout simplement puisque c’est ainsi que l’appelait Crozier. Mais d’une part cela prêterait à confusion d’une part avec l’analyse de la stratégie de l’organisation et d’autre part je trouve que cette analyse est très très pertinente pour une population identifiée. Si on a beaucoup de populations impliquées c’est plus compliqué.

Elle aurait pu aussi s’appeler, et d’ailleurs c’est ainsi que nous l’appelons souvent, chasse aux Bonnes raisons . Mais pour éviter de mettre des « bonnes raisons » partout, j’ai décidé de l’appeler par son nom le plus précis, même si je ne peux m’empêcher de conserver le nom initial.

Protocole dans le cas d’un diagnostic de niveau 2

Cette analyse comprend sur le fond (au niveau 2) 5 étapes. Qui sont présentées dans la vidéo suivante (je suis désolé que le son ne soit pas plus fort)

Reprenons ces cinq étapes

  1. Définir le problème, si possible sous la forme « nous n’arrivons pas à … » parfois appeler plafond de verre par extension de l’image du plafond de verre des femmes n’arrivant pas à atteindre les derniers échelons d’une organisation. Je recommande vivement d’écrire ce problème et de chercher un consensus sur les termes employés car la précision des termes aide à « make up his own mind ».
  2. Une fois le problème identifié il faudra alors cartographier les acteurs en utilisant le Sociogramme.
  3. Puis modéliser le comportement de ces acteurs à travers l’ERC.
  4. Puis faire des hypothèses expliquant le comportement et ainsi expliquant le problème. Généralement cette phase d’hypothèse est itérative : on fait des hypothèses, on va les tester, elles se révèlent partiellement fausses, on approfondit l’analyse (par exemple en reformulant l’ERC) puis on reste un nouveau jeu d’hypothèse et ainsi de suite jusqu’à ce notre modèle tourne.
  5. Une fois que le modèle « tourne » alors on peut chercher les leviers pour changer le système. Pour s’aider dans la quête des leviers on peut s’inspirer des 5 dernières règles de Smart Simplicity.

Voyons ce que cela donne sur un exemple issu de Smart Simplicity.

 

Protocole dans un diagnostic de niveau 5

Pour adapter cela à un diagnostic de niveau 5 il faut prévoir plusieurs ajustements :

  • Tout d’abord le problème (la phase 1 ci-dessus et 0 dans la vidéo) doit être bien défini avec les dirigeants en amont.
  • Ensuite on doit aussi identifier la population cible car l’idée c’est de réunir un échantillon de la population cible pendant au moins 3h pour faire avec eux l’analyse de leur situation.
  • Enfin on doit calibrer les objectifs de la réunion : dans la majorité des cas il sera impossible d’arriver jusqu’à l’étape des hypothèses en une seule réunion. Ce calibrage impacte le dispositif puisqu’en fonction des objectifs il faudra prévoir plusieurs réunions de l’échantillon de population avec, ou non,  coordination entre ces réunions.

A partir de là, le protocole de l réunion est le suivant :

  1. Baromètre  sur la question « Comment je me sens dans mon job ?». Cette première étape vise à la fois à collecter de l’information et au skills building
  2. Ensuite Sociogramme selon la méthode présentée dans le post.
  3. Puis ERC  idem avec la méthode présentée.
  4. Enfin, si on la temps, test d’hypothèse

Bien entendu à la fin de la réunion il faut envoyer le travail aux participants.

Nous avons longtemps discuté de savoir s’il vaut mieux faire ERC d’abord (c’est plus simple) et ensuite sociogramme. Aujourd’hui je crois qu’il faut suivre la méthode au fond, c’est-à-dire cartographier d’abord les acteurs puis expliquer les comportements. En premier lieu la cartographie sert alors plus d’entraînement, mais comme on ne cherche pas la régulation des mauvaises relations, mais simplement l’information cela fonctionne dans ce sens. Si on cherchait la régulation il faudrait le faire dans l’autre sens. Mais je ne crois pas que la régulation soit compatible avec l’élaboration. Ce sont deux énergies différentes. Enfin, dernier argument et non des moindres, l’ERC c’est très dur, surtout pour trouver le véritable enjeu, il faut tâtonner car l’enjeu est inconscient. Pour pouvoir aider les participants à distinguer leur véritable enjeu il est très précieux d’avoir toutes les informations possibles, notamment sur les relations facilitantes et difficiles.

Les bonnes raisons

Cette heuristique a vraiment été construite au fil du temps. A force de fréquenter les livres des sociologues, d’appliquer leur pensée dans mes projets j’en suis venu à me convaincre que dans toute situation un peu conflictuelle, que ce soit dans une équipe, une organisation, un binôme (même dans un couple), on comprend rarement la raison qui pousse l’autre à faire ce qu’il fait. Or j’ai observé de manière répétée que le fait de chercher ces bonnes raisons suffit à diminuer l’intensité du conflit. Et les trouver cela permet de le résoudre, sans nécessairement que personne ne change d’avis. Le fait d’avoir le sentiment « j’ai été entendu » suffit bien des fois.

L’heuristique est la suivante : énoncer AVANT toute discussion que nous allons chercher ensemble à comprendre que chacun a de bonnes raisons de faire ce qu’il fait. Que c’est une recherche courageuse, mais qui porte des fruits. Que chercher suffit, c’est la clarté de l’intention qui compte.

Le problème auquel j’ai vite été confronté lorsque nous cherchions les raisons d’un comportement, c’est que j’étais seul à porter cette idée ce qui transformait les discussions en joutes verbales teintées de moralité. Cela n’avançait pas. Du jour où j’ai énoncé cette heuristique AVANT cela a tout changé.

Avant un différend, tout le monde tombe assez facilement d’accord pour appliquer cette heuristique. Donc quand arrive le moment critique il n’y a qu’à rappeler l’heuristique pour que chacun remonte en selle, se remette en recherche, ce qui fait disparaître la joute.  Dans les équipes expérimentées ce sont les participants qui se chargent eux-même du rappel (car tout le monde, moi le premier, a besoin d’aide pour chercher). Si j’énonce l’heuristique lorsque la joute a démarré, cela ne marche plus car les personnes sont trop prises dans leur jeu.

Pour moi c’est la plus importante des lignes de conduite.

Ce n’est que récemment que j’ai trouvé cette citation d’Erhard Friedberg (co-auteur avec Michel Crozier de l’acteur et le système) qui résume parfaitement pour moi le principe des Bonnes raisons :

« Rechercher les « bonnes raisons » derrière ces faits, sans immédiatement porter un jugement sur eux. L’espoir sous-jacent, qui s’est révélé fondé par la suite, était que l’on parviendrait ainsi à découvrir des faits nouveaux, qui ne coïncideraient pas nécessairement avec les croyances, les opinions, les convictions et les interprétations existant au sein du système et qui permettraient donc de les relativiser et problématiser à leur tour. »  dans Le pouvoir et la règle.

Nous appelons même maintenant l’analyse Crozier la « chasse aux bonnes raisons » comme présenté dans cette vidéo (le lien permet d’accéder au protocole complet) :

 

L’inclusion utile

J’ai beaucoup abusé de cette heuristique que j’ai découvert comme une nouvelle loi de la gravité en travaillant avec Fabrice Clément. J’ai découvert par l’expérience que la première dimension de l’élément humain de Will Schutz était sans doute la plus importante. (une description des trois dimensions).

L’heuristique est la suivante : avant de faire travailler des gens qui ne sont pas vus depuis longtemps, ou qui vivent des problèmes comme relationnels, faites leur avoir le maximum de contacts entre eux.

Quand il y a un déficit d’inclusion les personnes collaborent moins bien, de manière inconsciente (voir le graphique ci-dessus) : tout le monde connait des personnes qui s’opposent dans les réunions « juste pour exister ».

Ce que j’ai expérimenté en suivant Will Schutz, comme un peu magique au début, c’est que si vous augmenter le nombre de contacts entre eux en les faisant se parler deux par deux par exemple, et si vous avez réussi à trouver le bon thème de discussion, cela va faire que tout le monde « se sentira exister » et du coup les conversations qui suivront seront beaucoup plus apaisées. Cela s’entendra, car le niveau sonore dans la pièce va beaucoup augmenter !

Je crois que c’est le coup de génie de Will Schutz d’avoir compris qu’en grande partie les organisations créaient des déficits d’inclusion, centrées qu’elles étaient sur le travail (lui dit le contrôle). C’est coup de génie que Vincent Lenhardt a repris et popularisé.

Antifragilité : Lorsque les personnes arrivent à se connecter entres-elles elles sortent de l’exercice avec une grande énergie et une meilleure connaissance mutuelle. C’est bien antifragile. Si on peut grâce à une image les aider à donner du sens à leurs sentiments, c’est encore plus antifragile !

Aujourd’hui j’utilise l’inclusion avec plus de précautions dans les projets car si elle ne vise que le contact, les gens ont l’impression de perdre leur temps, et ils ont de bonnes raisons de penser cela. Donc il ne faut pas qu’ils perdent leur temps. Donc je cherche des moyens de faire de l’inclusion utile. Je sais que c’est une aberration pour certains mais plus j’avance plus je me rends compte que le décalage à apporter dans les organisations doit rester modéré, car s’il s’avère trop gros toutes les techniques ne fonctionnent plus.

Dans une organisation, si tout le monde est là c’est en premier lieu pour faire son travail pas pour avoir des amis ou se développer personnellement. De mon point de vue les exercices d’’inclusion doivent donc servir à combler les déficits d’inclusion, pas plus. Si on arrive à leur donner un sens, c’est-à-dire un peu de contrôle pour reprendre les dimensions de Schutz, alors cela aidera encore plus les personnes car elles trouveront un sens à leurs sentiments. Pour faire cela il faut habilement basculer d’une séquence d’inclusion à une partie de contrôle, encore une fois ne pas trop la faire durer. C’est ce que j’appelle l’inclusion utile. Donc l’inclusion ça marche, mais c’est comme le sel, faut pas en mettre trop !

Le principe de Dupuy

Cette heuristique toute simple m’est venu en relisant « la sociologie du changement » de François Dupuy .

L’heuristique est la suivante : Lorsque l’on écoute une organisation les différentes équipes avec lesquelles on travaille ont besoin qu’on leur dise ce que nous avons entendu

Je ne suis pas sûr qu’il serait d’accord avec mon utilisation de son patronyme, mais il reste que c’est vraiment en le fréquentant que j’ai appris ce principe tout simple. Enfin tout simple, ce n’est pas si simple lorsqu’on veut mettre en place l’écoute Hi-Fi  d’appliquer en même temps le principe de Dupuy. Car l’écoute Hi-Fi  en gros c’est  « tais-toi et écoute fidèlement », et le principe de Dupuy c’est « dis leur ».

Pourtant il faut bien faire les deux mais séquentiellement :

  1. Se taire longtemps pour écouter avec attention, personnellement je prends des notes,
  2. Ensuite parler en faisant des liens avec des choses vues ou entendues (et utiliser ses notes).
Antifragilité : Lorsque qu’une personne ou un groupe entend l’intervenant leur dire ce qu’il a entendu cela les conforte dans l’importance qu’ils ont (inclusion). Si vous avez déjà un avis et que vous le donnez, tant que vous ne suscitez pas de faux espoirs, cela accroitra leur confiance en vous et dans la démarche. Dans les deux cas ils ressortent plus confiants c’est bien antifragile.

Attention : si je me tais mais que je n’écoute pas fidèlement, lorsque je vais parler, le retour sera immédiat et massif : je serais contré. Si cela vous arrive dîtes vous que ce sont eux qui sont #skininthegame donc ils savent. Ne rentrez pas dans une joute oratoire inutile d’autant que cela n’est jamais très grave. Mieux vaut le savoir mais seule expérience donne vraiment l’énergie de prendre des notes précises (et fidèles).

Si vous doutez de ce point faîtes l’expérience suivante : enregistrez-vous. En écoutant l’enregistrement, ou mieux en relisant la retranscription de cet enregistrement vous verrez que nous ne sommes pas facilement fidèle à ce que les personnes disent. Nous ne remployons pas toujours les mêmes mots. Si vous êtes comme moi vous vous rendrez compte que vous parlez parfois trop, répétant des choses déjà dîtes, coupant le flux de votre interlocuteur. C’est en relisant une retranscription que j’ai définitivement ancré cette heuristique en deux parties: 1 tais-toi et note et 2 dis leur avec leurs mots (grâce à tes notes).

Le sociogramme

Le sociogramme vise à mieux comprendre le contexte de travail d’une population donnée en étudiant ses interactions avec les autres populations. Ce que nous cherchons à comprendre c’est la nature de la coopération en se basant sur la splendide idée de CrozierMorieuxDupuy  comme quoi une organisation est faite pour la coopération.

Quand on y pense deux minutes c’est évident : pourquoi toutes ces personnes ont-elles décidé de se voir tous les jours si ce n’est parce qu’en coopérant elles pourront faire quelque chose qu’elles ne peuvent faire seules.

La mise en graphique est relativement simple : on met l’acteur de la population concernée au centre et on trace toutes les relations qu’il a avec d’autres populations, sans tenir compte de l’organigramme. Sur l’image ci-dessous on voit l’application du sociogramme au cas Interlodge isssu de Smart Simplicity, l’ouvrage de référence de Yves Morieux et Peter Tollman. On retrouvera une description complète de ce cas dans la vidéo qui se trouve sur l’article de diagnostic de population.

Ensuite une fois ceci fait on colore les relations entre les acteurs afin de montrer qui s’entend bien avec qui.

Dans ce graphique nous avons utiliser le code couleur du baromètre : en vert les relations qui sont « bonnes » et en rouge les relations qui sont « mauvaises ». Il y a plusieurs lignes car les relations sont qualifiées dans les deux sens : parfois A s’entend bien avec B mais B ne peut pas supporter A. L’homme est ainsi fait…

Attention à l’interprétation il ne faut pas oublier qu’on cherche à comprendre la nature de la coopération, pas des relations.

  1. Ainsi une mauvaise relation pourra être le signe d’une coopération ou d’un problème. Dans le graphique ci-dessus par exemple BT ne s’entend pas avec GR mais ils coopèrent. C’est dur, donc la relation est rouge, mais ils coopèrent. Alors qu’avec RM ils n’arrivent plus à travailler ensemble. Donc ils ne coopèrent plus ce qui bloque l’organisation.
  2. Une bonne relation pourra être le signe d’une bonne collaboration (BT et FW dans le graphique à ou d’un évitement convivial (AG BT). Dans l’évitement on s’entend bien mais uniquement parce qu’on évite d’aborder les problèmes évitant ainsi de s’engueuler pour les résoudre.

Donc attention dans l’interprétation du graphique, avoir la « couleur » de la relation ne suffit pas : il faut bien comprendre le contexte. En l’occurrence dans le cas présenté, le simple fait de distinguer relation et coopération a beaucoup aidé les personnes à mieux vivre leur travail et de ce fait à résoudre le problème posé.

Il y a deux grandes manières de faire cette analyse, une première au niveau 2 des diagnostics collectifs et une seconde au niveau 5 .

  • Au niveau 2 c’est le consultant qui fait l’analyse au vu des observations. C’est ce qui est montré dans la première photo (Interlodge) et dans l’ébauche de cas ci-dessus. Cette méthode est plus rapide sur le plan du fond mais moins transformante sur le plan de la forme.
  • Au niveau 5, la forme devient plus transformante : on demande aux participants de faire leur propre analyse de leurs relations en les qualifiant (par exemple en notant de 1 à 10 ou de vert à rouge). Cette manière de faire demande de réunir un échantillon de la population. L’avantage c’est que les personnes présentes vont réagir aux propos les uns des autres et ainsi donner une compréhension plus riche du contexte. Cerise sur le gâteau, elles prendront conscience de choses qui les aideront à mieux vivre la situation.

De manière simplifié le protocole pour faire un sociogramme de niveau 5

  1. On commence par demander aux participants de faire l’inventaire des fonctions avec qui ils sont en relations, par exemple en écrivant sur des post-its
  2. Puis le consultant crée des clusters, des paquets, de fonctions qui sont similaires, qu’il peut regrouper comme sur le graphique précédent. Il peut aussi écrire de nouveaux post-its de synthèse. J’ai une préférence pour la clusterisation, car les participants gardent ainsi sous les yeux leur production, pas celle du consultant.
  3. Une fois clusterisées les relations, on demande aux participants de les qualifier en les notant ou comme dans le dessin ci-dessous à l’aide du baromètre qui va permettre aux participants de color-coder leurs relations (vert super, rouge horrible).
  4. Enfin, le consultant fait une moyenne des qualifications et vérifie avec le groupe que cette moyenne a bien un sens. Cette vérification révèlera à coup sûr des éléments très précieux du contexte.
  5. Ensuite généralement, on passe à l’ERC

Michel Crozier – Sociologie des organisations

Intellectuel français, mandarin des glorieuses années 60-70, Michel Crozier à popularisé la sociologie des organisations. Son approche est résumée dans l’acteur et le système qu’il a écrit avec Erhard Friedberg (auteur du Pouvoir et la règle). De mon point de vue son œuvre comprend deux parties qui sont assez souvent mêlées. D’une part une analyse très poussée et très robuste de l’action collective, la sociologie des organisations à proprement parler, telle que nous en avons récupéré les outils. D’autre part il mène une réflexion assez large et stimulante sur la société en générale qui occupent beaucoup ses pages. Il fut au centre de mai 68 (Professeur à Nanterre il avait Cohn-Bendit dans son cour) et a toujours attaché beaucoup d’importances à la réflexion sur la société  (La société bloquée en 1971, Quand la France s’ouvrira en 2002).

Il fut l’initiateur d’une école complète de pensée à laquelle François Dupuy  et Yves Morieux  se rattachent officiellement. Il a réellement permis de penser différemment l’organisation, même si on retrouve beaucoup de points communs avec d’autres penseurs de l’organisation de la même époque qui arrivent aux mêmes conclusions par d’autres voies (Mintzberg, Christiansen ).

Les idées clefs

Cela me paraît impossible de résumer ici les idées clefs de Crozier. Je vous invite plutôt à le lire, par exemples les excellents cas de Lentreprise à l’écoute. Si je m’y essaye tout de même je dirais que les idées clefs sont les suivantes (j’en oublie) :

  • La rationalité limitée : chaque acteur d’un système a une raison rationnelle, qu’il appelle stratégie, à son comportement, raison qu’on ne comprend pas sans l’écouter et l’observer avec attention. L’analyse stratégique selon lui consiste à analyser l’organisation pour comprendre cette stratégie. Une fois qu’on l’a comprise il est alors beaucoup plus facile de faire changer le système comme dans l’exemple célèbre du jeune ingénieur de la Seita.
  • L’écoute : pour arriver à comprendre ce que vivent les acteurs, il faut les écouter attentivement, mettre l’entreprise à l’écoute pour reprendre le titre d’un de ses livres.
  • Le pouvoir : comme le montre la vidéo ci-dessous, le pouvoir, c’est-à-dire la capacité à agir, est centrale dans son analyse. Je trouve qu’il n’est pas très clair sur ce sujet alors que Friedberg dans le pouvoir et la règle l’est beaucoup plus.

Concepts intégrés à la pratique

Les concepts intégrés sont issus des travaux de Morieux  et Dupuy  que je trouve beaucoup plus « rationnels » et moins politiques. Alors que Crozier est vraiment marqué par son époque avec sa rare qualité d’écriture et son analyse reste très marquée par le marxisme et la psychanalyse lacannienne, tout deux prégnants à cette époque. Cela donne de belles percées comme les premières pages de l’acteur et le système où il décrit l’action collective, mais cela mène aussi à des interprétations qui, lorsqu’il généralise à la société, vont un peu trop loin de mon point de vue.

Ce que je n’achète pas

Comme dans ma pratique je pousse l’idée friedbergienne de « Bonnes raisons » toute interprétation analytique de type politique ne permet pas de comprendre les bonnes raisons. Pour reprendre le cadre marxiste, dominer quelqu’un ce n’est pas à proprement parler une « bonne raison ».

Plus généralement je pense qu’il y a un problème d’échelle à côté duquel il est complètement passé : de mon point de vue (et je suis Taleb  là-dessus), le comportement d’une organisation moyenne (disons une usine) n’est pas le même qu’une grande corporation (disons 30 000 à 100 000 personnes) et encore moins d’une nation complète. S’appuyer sur une expertise des organisations pour parler de la société (La Société Bloquée) est très intéressant mais c’est sortir de la zone de validité de son expertise. Cette extrapolation du au fait d’avoir un nom a beau être générale, je ne peux la suivre.