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Tabou n°7 : dans une transfo les patrons aussi ont besoin d’aide

Comme toute culture celle de la transformation « fait silence » sur certains tabous « par crainte ou par pudeur ». Dans cette série nous nous proposons d’en découvrir sept présents dans beaucoup de projets. Pourquoi ? Parce que « rompre le silence » permet d’aborder les projets d’une manière plus efficace. Tout simplement.

La manifestation

N’avez-vous jamais entendu dans des groupes projets des conseils donnés au patron absent du type « il faudrait que Bertrand tranche sur ce point…(alors qu’il attend de récolter tous les avis) » ? Ou le classique « Isabelle devrait écouter les remontées de la BU America, elle a vraiment du mal à écouter (alors qu’elle l’a déjà fait, à sa façon)… » ? ou encore « Que penses Philippe de ce déroulé de la convention (alors qu’il n’est pas encore entré dans le dossier) » ?

Dans une transformation les équipes, les consultants attendent beaucoup du patron ou de la patronne. Ils attendent une orientation, parfois du réconfort, souvent des directives. Et, secrètement, chacun aimerait qu’il soit un peu différent ce patron, un peu plus ci, un peu moins ça. Et comme l’organisation se transforme, que tout le monde se transforme selon le tabou n°6, s’il pouvait en profiter pour changer dans un sens qui m’arrange bien….

Il y a un espoir et une illusions particuliers suscités par la position du dirigeant. Or dans une transformation, s’il a une responsabilité importante, le patron fait face à des situations inconfortables, à des décisions floues, à des cas de conscience, à des tâtonnements, lui qui est censé toujours aller bien, savoir quoi décider et ne pas se tromper. Pour faire ce chemin de transformation, le dirigeant, comme nous tous, a besoin d’aide. Tout simplement. Sans que cela n’enlève rien ni à sa compétence ni à son autorité.

Le tabou

Dans une transfo un patron aussi a besoin d’aide

Un exemple

En 2019 dans le secteur public, le directeur reste tout puissant. Dans la lettre des textes définissant ses responsabilités et les délégations qu’il donne, comme dans la tête de bien des collaborateurs. Conséquence directe, les dirigeants du monde publique sont généralement très compétents, très habités par leurs responsabilités qu’ils tiennent souvent avec courage et brio.

La transformation de l’action publique est profonde. Dans une de ces transformations, le directeur, hyper compétent et hyper respecté n’arrivait pas à mettre les mots sur ce qu’il souhaitait dans une situation managériale un peu compliqué. Son Comité de Direction, avouons-le, profitait un peu de la situation, râlait après ceux qui ne faisait pas leur part, sans chercher à résoudre le problème. Tout simplement le directeur avait besoin d’un peu d’aide pour formuler clairement son insatisfaction. Comme cette insatisfaction était managériale et non technique, il était moins à l’aise que d’habitude, mais pas moins pertinent. L’aider à formuler clairement son point permis non seulement de clarifier sa pensée mais aussi que tous comprennent mieux comment agir, tout spécialement les personnes impliquées. Sans que cela n’enlève rien à son autorité, son image, son prestige.

Les bénéfices de regarder le tabou en face

Il existe beaucoup de raisons conscientes et inconscientes pour lesquelles nous nourrissons des illusions sur le patron. Les explorer ce n’est pas l’objectif. Quel bénéfice pouvons-nous tirer à regarder ce tabou en face ? Comment devenir antifragile sur ce point ?

Une fois que ce besoin d’aide est accepté par celui qui peut le donner cela nous permet de voir les choses totalement différemment. Je vois très souvent des exemples ou les patrons ont besoin d’aide pour formuler clairement des directives qui une fois claires seront très contraignantes. Il n’y a aucune contradiction entre le fait que le ou la cheffe ait besoin d’aide et le fait qu’il ou elle ait le pouvoir. L’aide apporter permet au patron d’exercer pleinement ses responsabilités. Tout simplement.

Cerise sur le gâteau pour ceux qui y arrivent vraiment, ils passeront du statut de fournisseur ou courtisan à celui de partenaire. Ça vaut le coup.

Pour aller plus loin

Pour apprendre des outils facilitant cette aide à apporter aux dirigeants, vous pouvez participer au prochain atelier « la transformation antifragile » : dates et inscriptions ici :

 

Crédit photo : Justin Trudeau, premier ministre du Canada sur https://pm.gc.ca/fr/photos/2019/05/16/premier-ministre-trudeau-assiste-diner-organise-president-macron-au-palais-de

Le diagnostic lisible par tous

L’heuristique est la suivante : lorsqu’on rédige le diagnostic d’une organisation il doit non seulement permettre d’expliquer le problème mais être lisible par tous les acteurs.

J’ai beaucoup tâtonné avant d’en arriver à cette heuristique. Dans mon premier métier de consultant nous réalisions de magnifiques diagnostics que les dirigeants peinaient à comprendre. Puis pour aider mes clients à naviguer dans leurs transformations j’ai produit beaucoup de schématisation de ce qui se passait dans l’organisation ou dans l’équipe de direction.

Parfois une modélisation rustique sans cadre de référence précis débouchait sur de grandes décisions comme celle-ci :


Parfois certaine description très fouillée d’une équipe, basé sur des modèles solides ne débouchaient sur rien de concret comme celle-ci :

Antifragilité : le fait de chercher à ce que chacun puisse entendre le diagnostic force à prendre en compte les « bonnes raisons », renforçant ainsi la capacité d’acceptation et donc de mise en œuvre du diagnostic. Cela augmente son pouvoir résolutoire. Un diagnostic sert à résoudre un problème, pas à se rassurer.[/citation-left]

Sans que je fasse le moindre lien à l’époque, parallèlement certaines restitutions se passaient à merveille, d’autres fois, lorsque l’analyse fuitait j’avais un mal fou à rétablir la confiance et tout l’intérêt de l’analyse était par terre. J’ai donc petit à petit commencé à rédiger des analyses qui soient lisibles par tous en utilisant cette contrainte comme un filtre : il faut que ce soit vrai mais aussi que ce soit acceptable, ou du moins défendable, devant les intéressés. Ce filtre permet de s’assurer qu’on a réellement trouver les « bonnes raisons » pas uniquement qu’on a eu l’intention de le faire.

Assez naturellement les mémos ont été lus à tous, puis je les ai utilisés comme éléments de préparation : certes lorsque l’un ou l’autre discute un point c’est en partie l’expression de ses résistances, mais c’est aussi l’expression de la limite qu’il est prêt à accepter et donc de l’ambition de la conversation.

Pour le dire en peu de mot, ce filtre est très pratique : il évite les problèmes inutiles et force à trouver une analyse intégrative. Je n’en changerai pour rien au monde !

Les zones d’intervention

Ce concept clef vient de Vincent Lehnardt et est utilisé initialement en coaching. Il est très utile dans un projet de transfo car il donne une grille pour analyser « où est le problème » ? Lorsqu’un acteur parle avec émotion d’un problème qu’il rencontre, pour comprendre l’information qui se cache sous l’émotion, il peut être très utile d’utiliser cette grille. C’est donc une grille de base de l’antifragilité.

Elle a un fort pouvoir déconfusionnant au sens ou elle permet de distinguer ce qui relève des faits, des acteurs et ce qui concerne leur « rapport à ». Le « rapport à » est un concept de psychosociologie qui désigne de façon un peu précieuse la manière dont une personne voit les choses. Cette manière de voir les choses, ce « rapport à », conditionne les émotions qu’ils vont ressentir face à une même situation. Comme c’est une relation d’équivalence, si l’on observe une émotion face à une situation cela éclaire sur le « rapport à ».

Sur ce schéma par exemple le rapport du champion au problème est la zone 8 alors que le problème se situe dans la zone 6.

Donc pour utiliser la grille, lorsque j’écoute un client parler d’un problème, cela m’aide à identifier où se situe l’énergie. Pour prendre un exemple que l’on retrouve dans beaucoup de projets de transfo, lorsqu’un responsable se plaint du fait que « ils devraient se comporter de manière plus responsable et prendre en compte ces contraintes », il s’agit d’écouter attentivement la personne pour savoir si ce qu’elle déplore  c’est :

  • un des comportements justement à faire évoluer, auquel cas on peut l’aider à passer sa frustration que le projet n’aille pas assez vite,
  • sa préférence de comportement, auquel cas le consultant peut soit se taire, soit l’aider à éclairer ou questionner sa préférence,
  • un espoir illusoire qu’il existe un monde où un leader n’aurait pas à prendre en charge ses adjoints, auquel cas vous pouvez soit compatir, soit dénoncer (mais je déconseille car sans contrat de coaching individuel c’est vraiment face Nord), soit vous taire,
  • où réellement les personnes dont elles parlent doivent vraiment évoluer et donc être formées par exemple. Auquel cas il faut chercher à cerner la conscience qu’elles ont du problème, comment il se manifeste concrètement….

AIR TIME

Littéralement Airtime peut se traduire par temps d’antenne, en TV ou en radio. Cette expression est également employée par les riders de slopestyle qui doivent enchaîner un grand nombre de figures dans le temps qu’ils passent dans les airs, airtime.

Cette dernière comparaison se prête bien aux discussions en grand groupe : plus le groupe grandit plus il faut faire attention à gérer l’airtime.

L’heuristique est la suivante : lorsqu’on design un temps collectif il doit y avoir une équivalence entre l’airtime d’un sujet et son importance pour tout le groupe.
  • Au-delà de 4 personnes, à mon avis, un animateur doit commencer à gérer l’Airtime, ne serait-ce que pour éviter les monopoles et les muets, 4 semble être la taille optimale où un groupe peut autogérer une conversation qui intéresse tout le monde comme le montre un article sur la dynamique des dîners d’amis,
  • A partir de 12 personnes cela devient indispensable, ce qui veut dire que ceux qui parlent doivent préparer et qu’il faut faire attention aux questions posées au débat en grande groupes. Il devient préférable de bien préciser les règles de parole
  • entre 20 et 70 personnes, les speakers doivent être briefés et seules les questions stratégiques pour le groupe ont droit à de l’airtime. Dans l’autre sens il faut bien s’assurer que les choses discutées en sous-groupe sont bien revenues en grand groupe. Celles qui ne sont pas revenues, c’est comme si elles devenaient sans importance,
  •  Au-dessus de 100 personnes il devient plus prudent de scripter les speakers et de limiter les Q&A.
  • A partir de 300 un outil de Q&A on-line devient nécessaire.

En résumé le temps d’antenne est d’autant plus précieux que la taille du groupe augmente et il faut le gérer même si cela implique d’augmenter le formalisme.

Antifragilité : Ce qui est bon pour un groupe c’est de passer du temps sur des sujets importants pour tous. On peut interpréter toutes les distractions et digressions à cette lumière.

Ainsi lorsqu’un grand groupe sort du cadre, on peut utiliser cette heuristique pour éclairer les digressions: est-ce que c’est un nouveau sujet stratégique dont le groupe s’empare ou au contraire est-ce une digression qui montre qu’on a passé trop de temps sur le sujet ? Cela évite les rappels à l’ordre intempestifs.

De même lorsque des personnes ont du mal à rester attentive, parfois c’est leur responsabilité (assez rarement) et bien souvent c’est que le sujet abordé ne les intéresse pas, tout simplement. Dans ce cas l’on peut observer d’autres participants pour voir si cet ennui est partagé, auquel cas nous aurons une bonne indication que l’Airtime n’est plus pertinent pour le groupe.

Illustration Breet Rheeder un des meilleurs riders mondiaux passant un 360 whip. Crédit photo : Bret Rheeder sur Instagram :

https://www.instagram.com/p/BQV401eDWbx/?utm_source=ig_web_button_share_sheet

 

Analyse stratégique d’une population – Chasse aux bonnes raisons

L’analyse stratégique d’une population pourrait aussi s’appeler l’analyse stratégique, tout simplement puisque c’est ainsi que l’appelait Crozier. Mais d’une part cela prêterait à confusion d’une part avec l’analyse de la stratégie de l’organisation et d’autre part je trouve que cette analyse est très très pertinente pour une population identifiée. Si on a beaucoup de populations impliquées c’est plus compliqué.

Elle aurait pu aussi s’appeler, et d’ailleurs c’est ainsi que nous l’appelons souvent, chasse aux Bonnes raisons . Mais pour éviter de mettre des « bonnes raisons » partout, j’ai décidé de l’appeler par son nom le plus précis, même si je ne peux m’empêcher de conserver le nom initial.

Protocole dans le cas d’un diagnostic de niveau 2

Cette analyse comprend sur le fond (au niveau 2) 5 étapes. Qui sont présentées dans la vidéo suivante (je suis désolé que le son ne soit pas plus fort)

Reprenons ces cinq étapes

  1. Définir le problème, si possible sous la forme « nous n’arrivons pas à … » parfois appeler plafond de verre par extension de l’image du plafond de verre des femmes n’arrivant pas à atteindre les derniers échelons d’une organisation. Je recommande vivement d’écrire ce problème et de chercher un consensus sur les termes employés car la précision des termes aide à « make up his own mind ».
  2. Une fois le problème identifié il faudra alors cartographier les acteurs en utilisant le Sociogramme.
  3. Puis modéliser le comportement de ces acteurs à travers l’ERC.
  4. Puis faire des hypothèses expliquant le comportement et ainsi expliquant le problème. Généralement cette phase d’hypothèse est itérative : on fait des hypothèses, on va les tester, elles se révèlent partiellement fausses, on approfondit l’analyse (par exemple en reformulant l’ERC) puis on reste un nouveau jeu d’hypothèse et ainsi de suite jusqu’à ce notre modèle tourne.
  5. Une fois que le modèle « tourne » alors on peut chercher les leviers pour changer le système. Pour s’aider dans la quête des leviers on peut s’inspirer des 5 dernières règles de Smart Simplicity.

Voyons ce que cela donne sur un exemple issu de Smart Simplicity.

 

Protocole dans un diagnostic de niveau 5

Pour adapter cela à un diagnostic de niveau 5 il faut prévoir plusieurs ajustements :

  • Tout d’abord le problème (la phase 1 ci-dessus et 0 dans la vidéo) doit être bien défini avec les dirigeants en amont.
  • Ensuite on doit aussi identifier la population cible car l’idée c’est de réunir un échantillon de la population cible pendant au moins 3h pour faire avec eux l’analyse de leur situation.
  • Enfin on doit calibrer les objectifs de la réunion : dans la majorité des cas il sera impossible d’arriver jusqu’à l’étape des hypothèses en une seule réunion. Ce calibrage impacte le dispositif puisqu’en fonction des objectifs il faudra prévoir plusieurs réunions de l’échantillon de population avec, ou non,  coordination entre ces réunions.

A partir de là, le protocole de l réunion est le suivant :

  1. Baromètre  sur la question « Comment je me sens dans mon job ?». Cette première étape vise à la fois à collecter de l’information et au skills building
  2. Ensuite Sociogramme selon la méthode présentée dans le post.
  3. Puis ERC  idem avec la méthode présentée.
  4. Enfin, si on la temps, test d’hypothèse

Bien entendu à la fin de la réunion il faut envoyer le travail aux participants.

Nous avons longtemps discuté de savoir s’il vaut mieux faire ERC d’abord (c’est plus simple) et ensuite sociogramme. Aujourd’hui je crois qu’il faut suivre la méthode au fond, c’est-à-dire cartographier d’abord les acteurs puis expliquer les comportements. En premier lieu la cartographie sert alors plus d’entraînement, mais comme on ne cherche pas la régulation des mauvaises relations, mais simplement l’information cela fonctionne dans ce sens. Si on cherchait la régulation il faudrait le faire dans l’autre sens. Mais je ne crois pas que la régulation soit compatible avec l’élaboration. Ce sont deux énergies différentes. Enfin, dernier argument et non des moindres, l’ERC c’est très dur, surtout pour trouver le véritable enjeu, il faut tâtonner car l’enjeu est inconscient. Pour pouvoir aider les participants à distinguer leur véritable enjeu il est très précieux d’avoir toutes les informations possibles, notamment sur les relations facilitantes et difficiles.

Les bonnes raisons

Cette heuristique a vraiment été construite au fil du temps. A force de fréquenter les livres des sociologues, d’appliquer leur pensée dans mes projets j’en suis venu à me convaincre que dans toute situation un peu conflictuelle, que ce soit dans une équipe, une organisation, un binôme (même dans un couple), on comprend rarement la raison qui pousse l’autre à faire ce qu’il fait. Or j’ai observé de manière répétée que le fait de chercher ces bonnes raisons suffit à diminuer l’intensité du conflit. Et les trouver cela permet de le résoudre, sans nécessairement que personne ne change d’avis. Le fait d’avoir le sentiment « j’ai été entendu » suffit bien des fois.

L’heuristique est la suivante : énoncer AVANT toute discussion que nous allons chercher ensemble à comprendre que chacun a de bonnes raisons de faire ce qu’il fait. Que c’est une recherche courageuse, mais qui porte des fruits. Que chercher suffit, c’est la clarté de l’intention qui compte.

Le problème auquel j’ai vite été confronté lorsque nous cherchions les raisons d’un comportement, c’est que j’étais seul à porter cette idée ce qui transformait les discussions en joutes verbales teintées de moralité. Cela n’avançait pas. Du jour où j’ai énoncé cette heuristique AVANT cela a tout changé.

Avant un différend, tout le monde tombe assez facilement d’accord pour appliquer cette heuristique. Donc quand arrive le moment critique il n’y a qu’à rappeler l’heuristique pour que chacun remonte en selle, se remette en recherche, ce qui fait disparaître la joute.  Dans les équipes expérimentées ce sont les participants qui se chargent eux-même du rappel (car tout le monde, moi le premier, a besoin d’aide pour chercher). Si j’énonce l’heuristique lorsque la joute a démarré, cela ne marche plus car les personnes sont trop prises dans leur jeu.

Pour moi c’est la plus importante des lignes de conduite.

Ce n’est que récemment que j’ai trouvé cette citation d’Erhard Friedberg (co-auteur avec Michel Crozier de l’acteur et le système) qui résume parfaitement pour moi le principe des Bonnes raisons :

« Rechercher les « bonnes raisons » derrière ces faits, sans immédiatement porter un jugement sur eux. L’espoir sous-jacent, qui s’est révélé fondé par la suite, était que l’on parviendrait ainsi à découvrir des faits nouveaux, qui ne coïncideraient pas nécessairement avec les croyances, les opinions, les convictions et les interprétations existant au sein du système et qui permettraient donc de les relativiser et problématiser à leur tour. »  dans Le pouvoir et la règle.

Nous appelons même maintenant l’analyse Crozier la « chasse aux bonnes raisons » comme présenté dans cette vidéo (le lien permet d’accéder au protocole complet) :

 

L’inclusion utile

J’ai beaucoup abusé de cette heuristique que j’ai découvert comme une nouvelle loi de la gravité en travaillant avec Fabrice Clément. J’ai découvert par l’expérience que la première dimension de l’élément humain de Will Schutz était sans doute la plus importante. (une description des trois dimensions).

L’heuristique est la suivante : avant de faire travailler des gens qui ne sont pas vus depuis longtemps, ou qui vivent des problèmes comme relationnels, faites leur avoir le maximum de contacts entre eux.

Quand il y a un déficit d’inclusion les personnes collaborent moins bien, de manière inconsciente (voir le graphique ci-dessus) : tout le monde connait des personnes qui s’opposent dans les réunions « juste pour exister ».

Ce que j’ai expérimenté en suivant Will Schutz, comme un peu magique au début, c’est que si vous augmenter le nombre de contacts entre eux en les faisant se parler deux par deux par exemple, et si vous avez réussi à trouver le bon thème de discussion, cela va faire que tout le monde « se sentira exister » et du coup les conversations qui suivront seront beaucoup plus apaisées. Cela s’entendra, car le niveau sonore dans la pièce va beaucoup augmenter !

Je crois que c’est le coup de génie de Will Schutz d’avoir compris qu’en grande partie les organisations créaient des déficits d’inclusion, centrées qu’elles étaient sur le travail (lui dit le contrôle). C’est coup de génie que Vincent Lenhardt a repris et popularisé.

Antifragilité : Lorsque les personnes arrivent à se connecter entres-elles elles sortent de l’exercice avec une grande énergie et une meilleure connaissance mutuelle. C’est bien antifragile. Si on peut grâce à une image les aider à donner du sens à leurs sentiments, c’est encore plus antifragile !

Aujourd’hui j’utilise l’inclusion avec plus de précautions dans les projets car si elle ne vise que le contact, les gens ont l’impression de perdre leur temps, et ils ont de bonnes raisons de penser cela. Donc il ne faut pas qu’ils perdent leur temps. Donc je cherche des moyens de faire de l’inclusion utile. Je sais que c’est une aberration pour certains mais plus j’avance plus je me rends compte que le décalage à apporter dans les organisations doit rester modéré, car s’il s’avère trop gros toutes les techniques ne fonctionnent plus.

Dans une organisation, si tout le monde est là c’est en premier lieu pour faire son travail pas pour avoir des amis ou se développer personnellement. De mon point de vue les exercices d’’inclusion doivent donc servir à combler les déficits d’inclusion, pas plus. Si on arrive à leur donner un sens, c’est-à-dire un peu de contrôle pour reprendre les dimensions de Schutz, alors cela aidera encore plus les personnes car elles trouveront un sens à leurs sentiments. Pour faire cela il faut habilement basculer d’une séquence d’inclusion à une partie de contrôle, encore une fois ne pas trop la faire durer. C’est ce que j’appelle l’inclusion utile. Donc l’inclusion ça marche, mais c’est comme le sel, faut pas en mettre trop !

Le principe de Dupuy

Cette heuristique toute simple m’est venu en relisant « la sociologie du changement » de François Dupuy .

L’heuristique est la suivante : Lorsque l’on écoute une organisation les différentes équipes avec lesquelles on travaille ont besoin qu’on leur dise ce que nous avons entendu

Je ne suis pas sûr qu’il serait d’accord avec mon utilisation de son patronyme, mais il reste que c’est vraiment en le fréquentant que j’ai appris ce principe tout simple. Enfin tout simple, ce n’est pas si simple lorsqu’on veut mettre en place l’écoute Hi-Fi  d’appliquer en même temps le principe de Dupuy. Car l’écoute Hi-Fi  en gros c’est  « tais-toi et écoute fidèlement », et le principe de Dupuy c’est « dis leur ».

Pourtant il faut bien faire les deux mais séquentiellement :

  1. Se taire longtemps pour écouter avec attention, personnellement je prends des notes,
  2. Ensuite parler en faisant des liens avec des choses vues ou entendues (et utiliser ses notes).
Antifragilité : Lorsque qu’une personne ou un groupe entend l’intervenant leur dire ce qu’il a entendu cela les conforte dans l’importance qu’ils ont (inclusion). Si vous avez déjà un avis et que vous le donnez, tant que vous ne suscitez pas de faux espoirs, cela accroitra leur confiance en vous et dans la démarche. Dans les deux cas ils ressortent plus confiants c’est bien antifragile.

Attention : si je me tais mais que je n’écoute pas fidèlement, lorsque je vais parler, le retour sera immédiat et massif : je serais contré. Si cela vous arrive dîtes vous que ce sont eux qui sont #skininthegame donc ils savent. Ne rentrez pas dans une joute oratoire inutile d’autant que cela n’est jamais très grave. Mieux vaut le savoir mais seule expérience donne vraiment l’énergie de prendre des notes précises (et fidèles).

Si vous doutez de ce point faîtes l’expérience suivante : enregistrez-vous. En écoutant l’enregistrement, ou mieux en relisant la retranscription de cet enregistrement vous verrez que nous ne sommes pas facilement fidèle à ce que les personnes disent. Nous ne remployons pas toujours les mêmes mots. Si vous êtes comme moi vous vous rendrez compte que vous parlez parfois trop, répétant des choses déjà dîtes, coupant le flux de votre interlocuteur. C’est en relisant une retranscription que j’ai définitivement ancré cette heuristique en deux parties: 1 tais-toi et note et 2 dis leur avec leurs mots (grâce à tes notes).

Le sociogramme

Le sociogramme vise à mieux comprendre le contexte de travail d’une population donnée en étudiant ses interactions avec les autres populations. Ce que nous cherchons à comprendre c’est la nature de la coopération en se basant sur la splendide idée de CrozierMorieuxDupuy  comme quoi une organisation est faite pour la coopération.

Quand on y pense deux minutes c’est évident : pourquoi toutes ces personnes ont-elles décidé de se voir tous les jours si ce n’est parce qu’en coopérant elles pourront faire quelque chose qu’elles ne peuvent faire seules.

La mise en graphique est relativement simple : on met l’acteur de la population concernée au centre et on trace toutes les relations qu’il a avec d’autres populations, sans tenir compte de l’organigramme. Sur l’image ci-dessous on voit l’application du sociogramme au cas Interlodge isssu de Smart Simplicity, l’ouvrage de référence de Yves Morieux et Peter Tollman. On retrouvera une description complète de ce cas dans la vidéo qui se trouve sur l’article de diagnostic de population.

Ensuite une fois ceci fait on colore les relations entre les acteurs afin de montrer qui s’entend bien avec qui.

Dans ce graphique nous avons utiliser le code couleur du baromètre : en vert les relations qui sont « bonnes » et en rouge les relations qui sont « mauvaises ». Il y a plusieurs lignes car les relations sont qualifiées dans les deux sens : parfois A s’entend bien avec B mais B ne peut pas supporter A. L’homme est ainsi fait…

Attention à l’interprétation il ne faut pas oublier qu’on cherche à comprendre la nature de la coopération, pas des relations.

  1. Ainsi une mauvaise relation pourra être le signe d’une coopération ou d’un problème. Dans le graphique ci-dessus par exemple BT ne s’entend pas avec GR mais ils coopèrent. C’est dur, donc la relation est rouge, mais ils coopèrent. Alors qu’avec RM ils n’arrivent plus à travailler ensemble. Donc ils ne coopèrent plus ce qui bloque l’organisation.
  2. Une bonne relation pourra être le signe d’une bonne collaboration (BT et FW dans le graphique à ou d’un évitement convivial (AG BT). Dans l’évitement on s’entend bien mais uniquement parce qu’on évite d’aborder les problèmes évitant ainsi de s’engueuler pour les résoudre.

Donc attention dans l’interprétation du graphique, avoir la « couleur » de la relation ne suffit pas : il faut bien comprendre le contexte. En l’occurrence dans le cas présenté, le simple fait de distinguer relation et coopération a beaucoup aidé les personnes à mieux vivre leur travail et de ce fait à résoudre le problème posé.

Il y a deux grandes manières de faire cette analyse, une première au niveau 2 des diagnostics collectifs et une seconde au niveau 5 .

  • Au niveau 2 c’est le consultant qui fait l’analyse au vu des observations. C’est ce qui est montré dans la première photo (Interlodge) et dans l’ébauche de cas ci-dessus. Cette méthode est plus rapide sur le plan du fond mais moins transformante sur le plan de la forme.
  • Au niveau 5, la forme devient plus transformante : on demande aux participants de faire leur propre analyse de leurs relations en les qualifiant (par exemple en notant de 1 à 10 ou de vert à rouge). Cette manière de faire demande de réunir un échantillon de la population. L’avantage c’est que les personnes présentes vont réagir aux propos les uns des autres et ainsi donner une compréhension plus riche du contexte. Cerise sur le gâteau, elles prendront conscience de choses qui les aideront à mieux vivre la situation.

De manière simplifié le protocole pour faire un sociogramme de niveau 5

  1. On commence par demander aux participants de faire l’inventaire des fonctions avec qui ils sont en relations, par exemple en écrivant sur des post-its
  2. Puis le consultant crée des clusters, des paquets, de fonctions qui sont similaires, qu’il peut regrouper comme sur le graphique précédent. Il peut aussi écrire de nouveaux post-its de synthèse. J’ai une préférence pour la clusterisation, car les participants gardent ainsi sous les yeux leur production, pas celle du consultant.
  3. Une fois clusterisées les relations, on demande aux participants de les qualifier en les notant ou comme dans le dessin ci-dessous à l’aide du baromètre qui va permettre aux participants de color-coder leurs relations (vert super, rouge horrible).
  4. Enfin, le consultant fait une moyenne des qualifications et vérifie avec le groupe que cette moyenne a bien un sens. Cette vérification révèlera à coup sûr des éléments très précieux du contexte.
  5. Ensuite généralement, on passe à l’ERC